ELEVATIONINTRODUCTION C'est le troisième poème
de la section "Spleen et Idéal" après l'
Albatros, qui relate la chute du poète
et le malaise qui le prend a vivre chez les hommes du commun, voilà le poème
inverse. Le titre est polysémique: l'élévation est l'action de s'élever, le
mouvement d'ascension; le résultat de cette action, la supériorité dans le
voce liturgique, le moment de la messe ou le prêtre éleva l'hostie. Ce poème,
composé de cinq quatrains d'alexandrins aux rimes embrassées, met en
scène le mouvement d'élévation du poète qui vit dans un monde de duel en connaissant
une libération permise par le langage poétique.
LECTURE Elévation
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par delà le soleil, par delà les éthers, Par delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité, Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde, Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides; Va te purifier dans l'air supérieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur, Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse, Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse S'élancer vers les champs lumineux et sereins;
Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, - Qui plane sur la vie, et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes!
Charles Baudelaire
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ANNONCE DES AXESETUDEI) Le mouvement d'élévation- La structure du poèmeLes deux premiers quatrains forment une phrase avec dans Q1 (quatrain 1) des
compléments
de
lieu
qui évoquent la nature terrestre puis la nature céleste (introduites par les
locutions "au-dessus" et "par-delà" repesées), et dans Q2 la principale avec
adresse à "mon
esprit". Les rimes de ces deux quatrains sont importantes : Q1 "vallées" et "mers" représentent
le bas tandis que "éthers" et "étoilées" représentent le haut => on note une
opposition de sens mais un rapprochement par la rime; Q2: "agilité" et "volupté" représentent
l'abstrait tandis que "onde" et "profonde" représentent le concret => renforcement
du sens avec
l'embrassement des rimes. Q3 continue cette adresse avec une exhortation à poursuivre
ce mouvement puis avec les deux derniers quatrains, nous avons une généralisation
sur le bonheur du poète dans ce moment: après l'exhortation, c'est la réflexion
sur l'envol avec le passage à la deuxième personne du singulier … la troisième.
- L'envolChamp lexical du mouvement "au-dessus", "par-delà", "meus", "agilité"‚
"sillonnes", "envoie-toi", "va", "air supérieur", "aile vigoureuse"
(métonymie), "s'élancé", "vers les cieux", "libre essor", "plane sur la
vie".
Cet envol est aussi évoqué par l'allitération du [m] dans Q3 ("miasmes
morbides", "comme", "limpides")
qui montre la lourdeur du monde terrestre, par l'assonance de [eu] dans
Q4 ("brumeuse", "heureux", "peut", "vigoureuse", "lumineux")
qui montre la legato acquise par le poète.
==> un mouvement progressif qui part de la réalité terrestre et qui s'en éloigne
progressivement; la courbe dynamique d'un être qui réussit un arrachement
libérateur "loin" des
contingences matérielles, de l'ici-bas.
II) Un monde duelOn note une opposition entre le spleen et l'idéal.
SPLEEN a IDÉAL-
Le monde de la matière: "miasmes"
a Le monde de l'esprit: "esprit", "indicible"
-
Le monde de l'ombre: "bois", "montagnes", "nuages"
a Le monde de la clarté: "soleil", "éthers", "onde", "air", "limpides", "lumineux ", "feu clair"
-
Le monde du désespoir: "ennuis", "vastes chagrins"
a Le monde de l'espoir et du plaisir: "sereins", "heureux", "gaiement", "mâle volupté"
-
Le monde de l'impureté: "chargent de leur poids"
a Le monde de la pureté: "purifier", "pure et divine", "immensité", "profonde "
à Dans l'écartèlement entre le
monde terrestre, terrain du spleen et le monde aérien de l'idéal, le
poète arrive peu à peu à se libérer des contraintes terrestres pour
accéder au bonheur, à montrer son aisance dans la vie ailleurs, et ce,
grâce à l'écriture poétique.
III) La libération permise par le langage poétique-
Le rythme poétique au vers 1, le rythme renforce le parallélisme entre
les deux parties du vers, construites sur la répétition de la locution "au-dessus",
cette répétition met en valeur les différents éléments du vers. De nombreux enjambements
marquent l'envol (vers 7-8, vers 15-16, vers 19-20). La diergol du vers 10 (purifier)
soutient l'élan et agrandit l'espace.
-
Les comparaisons:
Elles ont pour rôle d'appuyer le monde de l'idéal : v6 "comme un bon nageur" pour
l'esprit ; v11 : "comme une pure et divine liqueur" pour le feu; v 7 : "comme
des alouettes" pour les pensées. Ce monde de l'idéal est marqué par les
sensations‚ réelles
et concrètes : la nage, la boisson et la vue des oiseaux.
Symbole de l'alouette : par sa façon de s'élever très rapidement dans le ciel
ou de se laisser brusquement tomber, cet oiseau est un médiateur entre la Terre
et le Ciel ; son envol le matin représente la joie manifeste de la vie, l'élan
de l'homme vers la joie; c'est un oiseau de bonne augure.
-
Une activité spirituelle:
Champ lexical : "mon esprit", "les pensers", "comprend" impératifs dans
Q3. L'altitude amplifie l'intelligence du poète, son rapport...
La réalité: il peut alors interpréter tous les symboles, les
mystères : "comprend
sans effort / Le langage des fleurs et des choses muettes" v l9-20,
retrouver les correspondances et servir de messager parce qu'il est
libéré des contraintes terrestres (l'adjectif attribut "heureux" est
mis en valeur par l'inversion au v. 15), l'isolement du distique final
avec le tiret montre l'allégement du réel au profit de l'immatérialité
des signes du langage.
CONCLUSION Apres la chute douloureuse et humiliante de l'Albatros,
le poète change de situation
et découvre le bonheur du mouvement qui symbolise la vie (après l'immobilisation
forcée sur le navire des hommes d'équipage). Ce bonheur est physique et spirituel,
le poète est tout-puissant. Ce poème, qui se trouve au début de la section qui
la condition du poète, est une profession de foi. Le mouvement du poème, des
mots correspond au mouvement de l'esprit.