LE DORMEUR DU VAL Arthur RimbaudIntroduction L'horreur de la guerre a
inspiré de nombreux textes, l'un des plus célèbres par la sobriété de
sa dénonciation est peut-être le sonnet
Le Dormeur du Val d'
Arthur Rimbaud.
Lecture C'est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent; où le soleil de la montagne fière, Luit; C'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme: Nature, berce-le chaudement: il a froid. Les parfums ne font plus frissonner sa narine; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud |
Annonce des axes Après avoir montré comment le poète nous dépeint la nature puis
l'homme, nous verrons l'interaction réunissant les aspects
contradictoires du poème.
EtudeI - La Nature La nature est omniprésente dans le poème, elle occupe intégralement
le premier quatrain, et nous la retrouvons jusque dans le dernier
tercet. Elle se caractérise par une impression de vie et de bonheur qui
sollicite tous les sens. "Verdure" vers 1 est repris au vers 7 par
"l'herbe" et au vers 8 par "vert".
Impression de luminosité avec "les haillons d'argent" vers 2 ;
renforcée au vers 3 et vers 13 par le soleil et dont la luminosité est
reprise au vers 4 "mousse de rayons" et vers 8 " lumière qui pleut" :
métaphore qui donne une matérialité à la lumière.
Nature très colorée : vers 9 "les glaïeuls", couleurs assez
intenses. Personnification de la rivière qui "chante" vers 1, animation.
Sur le plan olfactif, "parfums" vers 12, impression de bien-être et
bonheur ; sur le plan tactile, impression de fraîcheur, liquidité, vers
6 "et la nuque baignant dans le frais cresson bleu".
Le mot "val" du titre est repris au vers 4, rivière dynamique ;
impression d'exubérance, par les deux enjambements des vers 1,2,3. De
plus cette nature est présentée comme douée de sentiments, au vers 11
elle est personnifiée et présentée comme très maternelle "berce" : Alma
Mater.
II - L'homme On remarque que le jeune homme est "dans" la nature. Nous le voyons
aux vers 6,8,9,13, avec le mot "dans", il est imbriqué dans cette
nature. Nous savons à qui nous avons à faire, sociologiquement c'est un
soldat. Le jeune homme est jeune comme la nature. Il est présenté dans
un état d'abandon total : "bouche ouverte" vers 5, " sa nuque baignant"
vers 6, " dort" vers 7, inactivité encore répétée au vers 9 et 13 :
insistance avec le titre du sonnet. Au vers 7, il est "étendu",
intensifie l'impression de confort ; vers 8 " un lit vert", la nature
lui a construit un lit.
Si on regarde d'un peu plus près, nous voyons qu'il paraît mort :
vers 14 "deux trous rouges sur le côté droit", + allitérations en "r".
À partir de ce moment nous basculons dans l'horreur, dénouement très brutal.
III - Aspects contradictoires La mort est en fait omniprésente : vers 1 le mot "trou" fait écho
avec le vers 14. L'adverbe "follement" vers 2 signifie l'agitation de
la rivière. Nous avons un côté glorieux avec l'argent, mais en réalité
les "haillons" vers 3, reflètent quelque chose de détruit. La "bouche
ouverte" est une caractérisation de la mort du soldat ; sa tête est nue
car son casque a roulé par terre ; "la nuque baignant" vers 6 signifie
qu'elle baignait dans le sang, c'est à dire le sang sur l'herbe : rouge
du sang + vert de l'herbe = cresson bleu.
"Etendu" signifie un corps sans vie et le "lit" du vers 8 devient
un lit de mort. Les glaïeuls évoquent les fleurs que l'on posent sur
une tombe => il a les pieds dans les glaïeuls. Plus rien ne bouge,
"la narine" et "la poitrine "ne réagissent plus. Il ne respire plus, il
est donc mort. Violence des allitérations dentales pour trancher cette
jeune vie. Nous comprenons à ce moment que le sommeil du dormeur était
une image de mort.
Conclusion Ce poème illustre des thèmes très chers à A. Rimbaud, à savoir le
sens du tragique, de l'existence et la mort. Son art s'illustre
particulièrement avec les effets rythmiques brisés, symboliques d'une
vie brisée. Habileté par laquelle il nous met sur une fausse piste,
tout en nous laissant des indices, à la réelle interprétation du poème.